Min.pres. Picqué vraagt rationeel overleg rond bevolkingsdichtheid, isolatiekost in verschillende spreidingsconfiguraties, aanpassing geluidsnormen in functie specifieke eigenschappen overvlogen zones...
Interview Mille Decibels,
8.12.2004
Interview exclusive de Charles Picqué, Ministre-Président de la Région
bruxelloise
Le Ministre Président de la Région bruxelloise nous explique pourquoi le
dossier des nuisances de l'aéroport de Zaventem est devenu aussi important dans
le débat politique belge. En donnant une véritable hauteur à ses raisonnements,
il révèle l'existence d'une volonté de négation de notre modèle institutionnel
basé sur le fédéralisme de coopération. Les schémas irrationnels et vexatoires,
qu'il décrit comme pléthoriques dans ce dossier, sont autant de manifestations
d'une froide logique de deconstruction que certains mènent en Flandre. Dans son
analyse, la crise DHL nous a obligés à prendre acte - de manière peut-être
définitive - de la faiblesse du niveau de pouvoir fédéral. Il déplore que le
modèle confédéral en soit venu de facto à s'imposer, mais ce sont pour lui les
Régions qui devront désormais négocier de façon autonome lorsque des conflits
d'intérêts les opposent. Dans sa vision, à l'évidence celle d'un homme d'état,
le destin de Bruxelles est d'être une ville internationale, ce que la
dégradation de son habitabilité pourrait remettre en cause. Il récuse le
principe d'une mise en concurrence antagonique entre Régions, laquelle serait
synonyme de contre-productivité pour tous. En écho à l'analyse du Professeur Guy
Haarscher (voir notre rubrique "interview), Charles Picqué plaide pour que
prévale à l'avenir une toute autre attitude intellectuelle dans la gestion du
dossier des nuisances sonores de l'aéroport : "Il y a trois principes tout à
fait fondamentaux à respecter qui sont la rationalité, l'objectivation et la
transparence. En ce qui concerne le Plan Anciaux, aucun de ces trois critères
n'a été respecté."
Q. L'actuel Ministre de la Mobilité, Renaat Landuyt, montre une volonté de
trouver un consensus au gouvernement fédéral et entre les régions pour une
solution au problème de nuisances aériennes. Avez-vous le sentiment que nous
entrons dans une phase où des débats seront plus sereins ?
A. Je pense que l'affaire DHL a démontré la nécessité de préparer les
décisions politiques dans un autre climat que la précipitation, climat qui a
marqué le dossier DHL mais aussi la façon dont a été adopté le Plan Anciaux. La
leçon du dossier DHL est qu'il faut créer les conditions d¹une objectivation
maximum et s'inscrire à la fois dans des logiques de court, de moyen et de long
terme. Cela me parait important. Par exemple, dans la recherche d'une vision
plus globale du problème, cela ne me paraîtrait pas déplacé de remettre sur la
table l'idée de réfléchir à la possibilité d'un aéroport complémentaire à
Bruxelles-National si on veut conserver une attractivité internationale
importante à Bruxelles. C'est le manque d'anticipation sur le long terme qui
nous a valu les difficultés que nous rencontrons actuellement dans la gestion
des nuisances. Il faut se rappeler qu'en plein coeur de l'affaire DHL, la
députation permanente du Brabant flamand délivrait encore des permis pour bâtir
des résidences dans des zones très exposées au bruit. Mais ce qui s'est passé
avec DHL a tout de même eu un effet bénéfique. On s'est rendu compte qu'aucune
solution ne pourrait être imaginée sur le dos d'une composante de la
négociation. Dans ce dossier, la Région bruxelloise a fait valoir ses intérêts
et on s'est rendu compte qu'il était nécessaire de trouver une autre méthode de
travail. On a compris qu'il fallait prendre en considération un certain nombre
de critères qui permettraient de définir une stratégie rationnelle dans ce
dossier. Le critère de densité de population, le critère des coûts induits par
les frais d'isolation dans différentes configurations de dispersion, le critère
de l'adéquation des normes de bruit en fonction des spécificités des zones
survolées. Ce sont des questions de base qu'il faut aborder sans a priori pour
partir à la recherche d'un compromis qui sera raisonnable.
Q. Pensez-vous qu'il y a eu trop d'a priori dans ce dossier et qu'il est
nécessaire de rebâtir des schémas rationnels ?
A. Oui, tout à fait. Il faut partir du principe que nous sommes tous
dépositaires d'une responsabilité dans la gestion de ces nuisances et que nous
devons faire en sorte qu'elles produisent le moins de mal possible pour le moins
de monde possible. Il est évident qu'un plan dispersion qui établit des
proportions identiques pour des zones différemment peuplées est en dehors d'une
logique qui tend à réduire les dommages pour le plus grand nombre. Est-ce que
l'aéroport continuera à produire des nuisances. Oui, sans doute. S'il faut alors
adopter des mesures d'isolation, ne faut-il pas alors que les survols soient
organisés pour tenir compte du coût le plus raisonnable? Je crois que c'est
élémentaire. Nous ne pouvons pas justifier une masse d'investissement en frais
d'isolation qui serait disproportionnée. Il faudrait maintenant voir s'il est
possible de rentrer dans un contexte de rationalité et voir surtout s'il existe
un souci de coopération réelle entre la Région flamande et la Région
bruxelloise. Mais vous savez, il m'est arrivé de poser la question suivante à
mes interlocuteurs flamands : un scénario qui « dérange » 15.000 personnes
est-il mieux qu'un autre qui dérange 50.000 personnes. Et lorsque je n'entendais
pas répondre qu'il serait évidemment mieux de choisir le premier scénario, je me
disais qu'on n'était dans l'irrationnel. Même s'il faut aussi considérer
qu'ensuite tout doit être fait pour réduire au maximum les nuisances qui pèsent
sur les 15.000 personnes. Il faut bien comprendre que nous sommes condamnés à
aborder ce sujet des nuisances dans la rationalité. Sans quoi, il est probable
que l'existence de recours juridiques va persister, que l'on va laisser le champ
libre à des oppositions purement politiciennes et on ne pourra assumer ensemble
une gestion rationnelle de l'espace aérien. Je pense qu'il y a eu chez Bert
Anciaux quelques considérations électoralistes mais c'était un bonus pris au
passage. Je crois qu'à la base il a été emporté par une conception de Bruxelles
qu'il voit comme ataviquement hostile à la Flandre et aux flamands. Il ne sort
pas de cela. Et c'est bien dommage.
Q. Un an après l'adoption du Plan Anciaux, on a un peu l'impression que le
principe de dispersion suit une logique plus destructrice que constructrice. On
le constate autant sur le plan politique, avec les déchirements de la crise DHL
; sur le plan de l'analyse économique, avec une mise à mal des intérêts de la
Flandre ; sur le plan de l'habitabilité, avec dans les deux régions des citoyens
aussi bien francophones que flamands qui s'expriment au travers de dizaines de
milliers de plaintes. Depuis l'arrêt de la Cour de Cassation, il n'existe plus
aucune contrainte juridique. Comment expliquez-vous que le gouvernement fédéral
ne puisse pas faire évoluer la réflexion, que ce soit vers un retour à la
concentration, une délocalisation ou une suppression des vols de nuit ?
A. A mon avis, dans une première étape, la bonne méthode ne consisterait pas
à renvoyer le dossier devant le fédéral. Le plus cohérent et le plus sage serait
d'abord d'épuiser toutes les possibilités de négociation entre la région
flamande et la région bruxelloise. Parce qu'on s'est rendu compte, dans la
manière dont les choses ont été abordés, que le fédéral est loin de pouvoir
jouer un rôle d'arbitre. Il a plutôt favorisé un surenchérissement des exigences
de la part des régions. Le fédéral ne s'est pas montré comme étant tenu à une
obligation de résultats. On a essayé de dire, au moment de l'affaire DHL, «
c'est au fédéral de trancher et on verra ensuite si les régions sont d'accord ».
Mais il n'y a pas eu un travail préparatoire au fédéral qui aurait permis de
baliser la négociation et de fixer un minimum de point de convergence entre les
critères importants pour les régions. Nous sommes dans un fédéralisme où les
contentieux sont de moins en moins résolvables au niveau du fédéral, où nous
retrouvons aussi le clivage entre positions flamandes et francophones. Alors
autant plutôt essayer une négociation bilatérale entre les deux régions. Je dois
voir prochainement Yves Leterme et je vais lui poser cette question : «
sommes-nous capables de nous mettre d¹accord sur un certain nombre de points, ou
bien allons nous comporter comme des enfants indociles et laisser le fédérale
trancher, alors que l'on sait bien que le fédéral est lui-même déchiré pas des
points vue opposés. Si l'affaire DHL a montré les limites du fédéralisme, elle a
aussi montré les limites de l'obstination à défendre son pré carré alors qu'il
est impossible de se développer sans coordination avec l¹autre dans un espace
aussi réduit et compact que la Belgique.
Q. N'est-ce pas une sanction assez définitive du fédéral que d'établir ainsi
son incapacité à gérer des problèmes communautaires plus aigus ?
A. Oui, on s'inscrit de plus en plus dans une logique où il vaut mieux poser
des actes de coopération entre régions que de croire en vain que le fédéral est
encore en mesure d¹arbitrer des conflits. On retrouve d¹ailleurs ce cas de
figure dans beaucoup de dossiers. Bien que je le regrette, nous nous sommes
avancés de plus en plus dans une logique qui est devenue plus confédérale que
fédérale.
Q. Mais lorsqu'il s'avère impossible de trouver un accord entre région, ne
faut-il pas alors créer un mécanisme qui permette un arbitrage, une sorte
d'ultime fusible ?
A. On peut évidemment se poser la question de savoir si le fédéral peut
devenir cet ultime fusible. Mais on peut observer que lorsque le fédéral est
amené à trancher un contentieux communautaire, ceux-là même qui refusent
l'autorité morale du fédéral ont tout intérêt à le voir échouer. Sans quoi le
fédéral parviendrait à confirmer son utilité à chaque fois qu'il résout un
problème. Quand le fédéral n'est pas en mesure de résoudre un problème, il
devient possible pour certains de démontrer que le système fédéral ne fonctionne
pas. Et ils font avancer l'idée d¹un modèle confédéral.
Q. Peut-on alors affirmer que la problématique des nuisances aériennes de
l'aéroport de Zaventem se situe au coeur des événements qui contribuent à
remettre en cause l'actuelle configuration institutionnelle de la Belgique ?
A. Oui. Elle est sans doute un reflet de ce qu'est l'évolution actuelle de
la Belgique. Il se peut tout à fait que ce dossier soit devenu pour certain un
instrument qui serve à démontrer que le système de gouvernance belge actuel
montre ses limites. Et c'est la raison pour laquelle je pense qu'il vaut mieux
un bon accord passé entre les régions qu'un accord garanti par le fédéral. Si on
n'y arrive pas, il faudra peut-être, mais alors seulement, mettre en place une
procédure de recours au niveau du fédéral. Vous savez, même si on en arrivait un
jour à créer des frontières d'états distincts entre les régions actuelles, il
serait tout autant nécessaire de fixer par Traité des protocoles de négociation.
Q. C'est pourtant le gouvernement fédéral qui a introduit le problème en
adoptant le plan de dispersion. Le schéma que vous décrivez n'aurait-il pas été
plus adéquat s'il avait utilisé avant l'introduction du Plan Anciaux ?
A. Oui, mais ce qui s'est passé, ils ne l'ont pas vu venir. Et puis vous
savez, il a fallu traverser une situation tendue qui a été créée par des
maladresses qui ont eu lieu pendant la précédente législature. Ce n'était pas
les actes posés par la Ministre de la Mobilité de l'époque (ndlr : Isabelle
Durant) qui étaient inadéquats. Il s'agissait de maladresses verbales, avec des
paroles qui ont été entendues comme des provocations, qui on conduit à ouvrir la
« boite de Pandorre ».
Q. Pour autant, peut-on accepter que l'on surexploite quelques propos
inappropriés, de manière finalement assez artificielle, au point de créer une
situation encore bien plus inappropriée ?
A. Non, et il y a eu en effet le rôle d'une certaine presse qui a conduit à
envenimer les choses.
Q. Beaucoup d'observateurs du dossier, même en Flandre, pensent que c'est à
cause du plan de dispersion que DHL n'a pu se développer à Zaventem. Leur
direction a également fait des déclarations dans ce sens. Est-ce votre opinion
également ? Le cas de figure pourrait-il se reproduire?
A. Je crois que le plan de dispersion a été à la base des tensions et des
antagonismes. Mais je pense surtout qu'il a été un catalyseur de l'hostilité. Le
lobby très puissant des mandataires communaux du Brabant flamand a aussi
beaucoup fait pour conditionner l'intransigeance des négociateurs flamands. Pour
ceux-ci, la seule issue était de transférer la charge des nuisances sur
Bruxelles. Yves Leterme n'a pas eu beaucoup de marge de manoeuvre par rapport à
ces pressions. Si la Région bruxelloise avait accepté tous les ukases, au nom du
pragmatisme économique et au détriment d¹une certaine éthique qui impose de
protéger la qualité de vie des gens, on peut penser que flamands aurait dit oui
à DHL. Mais c'est alors peut-être DHL qui aurait dit non. Je crois que dès le
début, il existait un doute sérieux sur la possibilité de voir aboutir le
dossier DHL. Et que les flamands avaient assez vite pris la mesure de la
détermination bruxelloise à ne pas céder sur l'essentiel. J'ai constaté assez de
signes qui montraient le pessimisme d'un certain nombre de flamands sur les
chances d'aboutir. Le problème devenait alors purement facial, à savoir qui
porterait la responsabilité sociale de l'échec. Il fallait un bouc émissaire.
Q. La Ministre Evelyne Huytebroeck nous apprend que Macquarie a le projet de
développer une gigantesque zone de bureau autour de l'aéroport. On voit mal
comment la région bruxelloise pourra empêcher la délocalisation de certaines
entreprises installées sur son territoire, axées sur l'international, et qui
pourraient être séduites par un lieu d'implantation effectivement assez
attractif. On aperçoit maintenant que le développement de l'aéroport suscitera
une compétition économique entre les deux Régions. En parallèle, la Flandre
exige une répartition des nuisances aériennes qui suscite un désir de déménager
chez beaucoup d'habitants de l'est de Bruxelles. On comprend aussi que la
diminution des nuisances en Brabant flamand doit permet de favoriser le
développement de ce pôle économique stratégique pour la Flandre qu'est
l'aéroport de Zaventem. Mais, quand on considère la somme des déperditions pour
la Région bruxelloise, est-ce que cela ne fait pas un peu beaucoup ?
A. Que ce soit les nuisances aériennes ou que ce soit la question de
l'aménagement du territoire autour de Bruxelles, ces éléments nous placent
devant l'exigence d'enfin ouvrir la porte à une coopération des régions pour
définir un destin commun à Bruxelles et à sa grande périphérie. Le nouveau plan
de la Région wallonne qui crée de nouveaux lotissements de zones à bâtir n'est
d'ailleurs pas non plus sans conséquence pour la Région bruxelloise. Veut-on
accepter de rentrer dans un système de compétition fiscale entre régions, ce qui
est d'ailleurs déjà un peu le cas? Veut-on entrer dans une conception de
l'aménagement du territoire qui se fait sans concertation avec les autres
régions, avec des problèmes de mobilité et d'environnement notamment? Nous
sommes obligés de nous assoire autour d'une table pour imaginer des solutions
qui permettent le développement simultané de nos trois régions. Nous devons
éviter le piège d'un fédéralisme de l'indifférence, voire de la compétition,
pour suivre la voie d'un fédéralisme coopératif. Il y a des frontières
administratives qui ne correspondent pas du tout à la réalité de la vie
économique et de la vie sociale. Il y a des problèmes transfrontaliers qui
s'imposent à nous et qu'il faut régler. Il faut voir s'il serait possible de
mettre sur pied une structure calquée sur le modèle des « communautés urbaines »
qui sont organisées autour de grandes métropoles comme Lyon et Lille en France ,
et cela sous la forme d'un organe de concertation permanent entre une centralité
métropolitaine et sa périphérie. Si nous voulons un jour travailler de façon
harmonieuse, dans une relation win-win, il faut créer un espace où les ministres
des trois régions se concertent sur les effets transfrontaliers leurs politiques
respectives. Des exemples? On peut parler du RER et de ses risques de
délocalisation des ménages. Quelle compensation serait mise en place pour
Bruxelles? Faudra-t-il que demain la région bruxelloise impose une vignette?
Parce que des mesures de rétorsion peuvent toujours être opposables à tout le
monde. Les régions flamandes et wallonnes n'ont pas intérêt à voir s'affaiblir
la région bruxelloise dans son habitabilité ou son attraction économique de
manière telle que ces régions finiraient par ne plus pouvoir bénéficier des
retombées positives procurées par Bruxelles en tant que capitale internationale.
L'affaiblissement de Bruxelles portera ombrage aux deux autres régions. Mais je
crois que cette prise de conscience n'est pas encore suffisante à ce stade. Et
je pense que l'incertitude institutionnelle rend difficile cette prise de
conscience. Parce que du côté flamand on n'écarte toujours pas que l'hypothèse
que le sort institutionnel de Bruxelles puisse un jour être lié directement à
celui de la Flandre.
Q. On constate que des membres de la communauté internationale, dont des
fonctionnaires européens, sont très nombreux à s'être installés dans des
communes qui subissent durement l'accroissement des nuisances sonores suscitées
par le plan de dispersion. Dans le débat, on a quelquefois pu entendre des
propos « anti-eurocrates » peu amènes. Est-il important de défendre la vocation
d'accueil de Bruxelles vis à vis de ce personnes?
A. Bien sûr. Le destin de Bruxelles est d'être une ville internationale. Il
n'y a pas d'autre projet mobilisateur et constructif pour Bruxelles en dehors
d'une identité de capitale internationale. Si vous n'assurez pas l'habitabilité,
au même titre que le bon fonctionnement des infrastructures et des équipements
de la ville, à un moment donné il faudra craindre un désaveu international à
l'égard de Bruxelles.
Q. Est-il vrai que la volonté du Vlaamse Belang est de faire partir les
institutions européennes de Bruxelles? Et si oui, Pourquoi?
A. Oui, c'est ce qu'ils disent. Parce que selon eux l'internationalisation
de Bruxelles est probablement le moyen le plus efficace qui s'oppose à une
flamandisation de Bruxelles. Le Vlaamse Blok/Belang se rend bien compte que
Bruxelles, comme capitale de l'Europe, n'est pas assimilable à la Flandre. Il y
a deux choses terribles que j'ai entendues en marge des négociations avec DHL,
dans les couloirs où certains s'abandonnent. Il y avait d'abord des propos qui
montraient une satisfaction à ce que ce, du fait du plan Anciaux, ce serait
surtout des francophones et des internationaux qui étaient survolés dans la
périphérie. Et j'ai également trouvé terrible d'entendre qu'il s'agissait (à
Bruxelles) de population « d'immigrés ».
Q. Quels sont selon vous les principaux enseignements à tirer de l'expérience
que nous avons connue pendant la crise DHL?
A. Dans le cadre de l'affaire DHL, certains se sont demandés s'il ne fallait
pas soustraire aux bruxellois leur capacité à gérer leur propre ville, dans
l'idée que c'est là l'intérêt des deux autres régions et du national. On
retrouve le concept du « Rijcksgebied », c'est-à-dire l'idée que Bruxelles doit
être gérée par le fédéral. Avec la crise DHL, on a vu que les bruxellois étaient
attachés à leur souveraineté, à leur capacité à définir leur propre destin et à
ne pas le laisser gérer par d'autres. Il ne faut pas perdre de vue qu'aux yeux
de certains flamands, la création de la région bruxelloise est la plus grande
défaite qu'ils aient connu ces vingt dernières années. Pour eux, il n'y avait
que trois hypothèses supportables : Bruxelles faisant partie de la Flandre,
Bruxelles gérée par le fédéral que les flamands dominaient ou Bruxelles gérée
par les deux régions sous la forme d'un co-protectorat. Je pense que dans le
dossier DHL, certains flamands ont été particulièrement irrités en constatant la
détermination bruxelloise. A l'évidence, Bruxelles est apparu exister bel et
bien lorsqu'il a s'agit de parler de problèmes concrets. L'affaire DHL a
démontré que nous sommes dans un fédéralisme à trois, et non pas à deux comme
certains en rêvent. On voit bien que nous n'assistons pas ici à un problème
communautaire mais bien à un problème régional, car il y a des flamands à
Bruxelles et des francophones en périphérie. L'intérêt de Bruxelles était de
préserver le cadre de vie des habitants de sa Région. Pour ma part, j'ai dit
qu'il fallait trouver une solution qui devait rencontrer à l'intérêt des
bruxellois mais sans créer d'injustice pour les habitants de la périphérie
qu'ils soient francophones ou flamands. Par contre, j'ai eu l'impression qu'il y
a eu certains flamands qui auraient bien voulu transférer le maximum de
nuisances à Bruxelles en faisant mine d'ignorer qu'il y avait là des flamands.
Il a fallut l'affaire DHL pour démontrer que l'on était dans une logique
d'égoïsme régional qui gommait la notion d'intérêt général. C'est un problème
très complexe où un observe une superposition de grilles de lecture.
Ce qui est également intéressant dans le cas des nuisances aériennes, c'est que
l'on voit qu'il y a des dossiers qui touchent vraiment à la sphère privée des
gens, à leur mode de vie. Avant cela, il y avait eu l'obligation de bilinguisme.
Il y a eu aussi le projet de création d'un incinérateur de déchets à Drogenbos.
Comme pour l'affaire DHL, il y avait là une dimension émotionnelle et même une
contrainte physique. Et quant on dit, en matière de fiscalité, que les flamands
paient trop d'impôts à cause des francophones, on n'est pas dans l'abstraction.
Il s'agit de choses qui touchent vraiment les gens. C'est la même chose avec les
amendes et le code de la route, avec une notion de la sécurité différente en
Flandre, basée sur plus de répression. Tout doucement, le contentieux
belgo-belge, qui avait une nature assez abstraite, est en train de se traduire
de manière de plus en plus concrète. C'est une évolution tout à fait frappante.
Il y a une multitude de petits exemples qui en sont le signe. Si bien que
maintenant, et c'est nouveau, il y a des bruxellois qui hésitent à élire
domicile dans les communes à facilité à cause des incertitudes liées au risque
d'une entrée au pouvoir d'un parti extrémiste flamand.
Q. Mais que dire à ces personnes qui habitent dans ces communes de la
périphérie et qui parfois ont le sentiment de subir une sorte de racisme de la
part d'une classe politique flamande qui relaie de plus en plus souvent des
schémas accusateurs, et simplificateurs, vis-à-vis des francophones?
A. Il faudra toujours privilégier la voie du dialogue. Et c'est pourquoi il
ne faudrait surtout pas tomber dans un sale piège qui consisterait à assimiler
tous les flamands au Vlaamse Belang. Il y a des forces centrifuges très
inquiétantes qui sont à l¹oeuvre en Flandre mais il y a aussi d'autres flamands
qui, tout en revendiquant leur identité flamande, ne poussent pas leur
affirmation identitaire jusqu'à dériver vers des rivages dangereux comme celui
de la xénophobie à l'égard des francophones. Il faut le dire. J'ai eu il y a
quelques années des conversations avec Vic Anciaux, pour lequel j'avais une
certaine estime parce qu'il avait conduit des combats pour l'émancipation de la
culture flamande que je trouvais légitimes. Mais nous avions de grandes
discussions lorsque j'essayais de le convaincre qu'il était selon moi très
difficile de concilier nationalisme et humanisme. Il y a peu d'exemple de
nationalisme positif dans l'histoire. Le nationalisme est plutôt une culture de
l'exclusion. On voit bien que l'affaire DHL a été le révélateur de beaucoup de
choses. Cette expérience nous indique q'u il est nécessaire de chercher à tout
prix les voies de la concertation.
Q. Comment réagissez-vous aux propos du philosophe Guy Haarscher lorsqu'il
dénonce comme inadéquates, au regard d'une logique de respect des droits de
l'homme, des idées comme la répartition des nuisances entre Régions ou comme
l'oblitération du critère de densité de population?
A. Je pense que sa réflexion renvoie à une notion très importante qui est
celle de la transparence dans les processus de décision et de gouvernance. On ne
pourra jamais solliciter une solidarité interindividuelle si on n'a pas pu
développer une pédagogie explicative. En démocratie, le vivre ensemble suppose
toujours une part de sacrifice mais dans un fondement proportionnel. Le principe
de solidarité implique que l'autorité qui en est la garante soit à même de
compenser au mieux les contraintes créées par les nuisances, par exemple par la
voie de l'indemnisation. Il y a trois principes tout à fait fondamentaux à
respecter qui sont la rationalité, l'objectivation et la transparence. En ce qui
concerne le Plan Anciaux, aucun de ces trois critères n¹a été respecté. Il y
aura toujours une certaine marge d¹appréciation qui permettra à certains de dire
que ces trois critères ont été intégrés, dans une certaine mesure. Mais la
vérité est que rien n¹a été fait pour aller le plus loin possible dans la bonne
direction.
Q. Voyez-vous de la rationalité dans le principe même de la dispersion des
nuisances aériennes de l¹aéroport de Zaventem?
A. Non. Il n'y a pas de rationalité dans la mesure où on met sur un même
pied d'égalité 50.000 personnes et 15.000 personnes. Le recours à des solutions
comme l'isolation ou l'expropriation est un moyen qui permet de rentrer dans une
logique de solidarité.
Q. Lors de votre face à face avec Yves Leterme à la RTBF, pendant la crise
DHL, vous avez parlé d'une volonté « d'humilier Bruxelles » chez certains acteur
politiques en Flandre. Pourriez-vous expliquer ce point de vue?
A. Dans tout travail de recherche d'un compromis, il y a toujours une
période de grande résistance. C'est normal. Mais je crois aussi que l'issue est
fonction d'une véritable volonté de s'inscrire dans un objectif de solidarité
chez chacun des interlocuteurs. Si l'interlocuteur s'enferme dans une logique
égoïste, il n'y a pas de compromis possible. C'est ce qui s'est passé au moment
de l'affaire DHL. Pour ma part, j'ai privilégié le dialogue le plus loin que
j'ai pu. Et puis j'ai acquis la conviction que certains en Flandre voulaient
qu'il y ait un perdant. La forme la plus brutale de l'humiliation, c'est de
refuser de prendre en considération les arguments objectifs et rationnels qui
sont avancés par l'interlocuteur. C'est considérer que dans un processus de
décision, l'écoute de l'autre est superfétatoire. Nous avons eu le sentiment,
lors de ces négociations, d'une volonté de régler le problème de DHL
exclusivement par la voie d¹un sacrifice significatif des bruxellois. Pour nous,
une telle chose était évidemment impossible à accepter. Cela, c'est la part «
objectivable » de l'humiliation. C'est la volonté de dire « je suis le gagnant,
tu es le perdant : je t'humilie ». Mais il y a une autre sorte d'humiliation qui
est pire encore. C'est quand on cherche à susciter une souffrance chez l'autre
qui ne vous rapporte rien. On est alors dans l'humiliation subjective. A un
moment donné, dans les négociations au sujet des vols de nuit, est apparue
l'exigence que Bruxelles supporte plus de vols de jour. On n'était plus dans un
scénario « je gagne en te faisant plier », mais bien dans l'idée que « je ne
gagne rien, mais toi tu vas perdre ». Entre bruxellois, à ce moment là, on s'est
tous regardés et on s'est demandé en quoi cela avait à voir avec DHL. Ils s'en
sont ensuite rendus compte et ont abandonné car c'était trop manifeste. On a
parlé alors de « quelques » vols de jour. Plus tard, dans l'affaire DHL, il y a
eu une irritation partagée entre flamands et francophones au sujet de
l'arrogance de DHL. Les négociateurs qui étaient en train de se déchirer se sont
retrouvés sur le point qu¹on ne pouvait pas accepter le cynisme et le chantage
de DHL. Nous avions d'ailleurs le sentiment qu¹ils se servaient de nous pour
pousser la surenchère ailleurs pour l'accueil de leurs activités.
Q. Pensez-vous que sur le plan de la sécurité, le schéma de dispersion actuel
offre un niveau de garantie satisfaisant?
A. C'est un critère de rationalité qu'il faut prendre en considération.
Quand on survole une zone, on ne peut jamais écarter tout à fait le risque d'un
accident. C'est pourquoi le risque du « plus grand dommage » doit être toujours
limité au maximum. Cela ne veut pas non plus dire qu'il faut négliger de prendre
le maximum de disposition pour assurer la sécurité de tout le monde. On ne peut
pas non plus rejeter le problème sur les autres, même s¹ils sont moins nombreux.
Il y a un devoir de sécurisation pour tous. Evidemment, ce principe de
rationalité pourra paraître suspect aux yeux de certains parce qu¹il avantage
Bruxelles. Mais c'est pourtant comme cela qu'il faut mener la réflexion, avec
des arguments objectifs.
Q. Pensez-vous qu'il faut à terme maintenir une activité nocturne à l¹aéroport
de Zaventem?
A. A mon sens, il faut tendre à une délocalisation des vols de nuit dans des
aéroports écartés des grands centres urbains. Que ce soit les charters, le
courrier, la logistique. C'est d'ailleurs une idée que Guy Verhofstadt avait
avancé au début de la législature : créer un nouvel aéroport à Chièvre.
Q. Depuis la mise en place du Plan Anciaux, il y a des milliers de gens qui
dorment mal. Qu¹avez-vous envie de leur dire en réponse à leurs plaintes ?
A. J'ai d'abord envie de leur dire qu¹il faut moins désespérer de la
situation aujourd¹hui qu'avant l'affaire DHL. Ensuite, je veux leur dire
qu'inévitablement il y aura encore, pendant une période difficile à préciser,
des insatisfactions. La recherche d¹une solution à ce genre de problème prend du
temps. Il n'y aura probablement pas un miracle dans les trois mois qui viennent.
On peut espérer de réduire un peu les inconvénients à plus court terme mais cela
prendra du temps pour trouver une vraie solution. Je veux leur dire aussi qu'ils
peuvent inscrire leur propre réflexion dans un cadre plus large qui concerne la
logique économique qui domine notre société. La libéralisation a conduit à une
compétition de plus en plus affirmée entre les acteurs économiques, comme par
exemple les aéroports qui sont des pôles de développement. Une affaire comme DHL
invite à réfléchir sur une certaine logique qui concerne l'encadrement de
l'économie. En ce qui me concerne, je suis pour l'économie de marché mais quand
on me dit qu'il n'est pas possible d'interdire les vols de nuit au niveau
européen parce qu'il y aura toujours un aéroport qui - plus éloigné des zones
urbaines - sera prêt à les accueillir, on exprime l'idée que des aéroports
seront toujours moins compétitifs que d'autres. C¹est parce que l'on s'inscrit
dans une logique qui est celle de la pure compétition économique que des choses
sont rendues impossibles.
Q. En cas de chute du gouvernement fédéral, Madame Joëlle Milquet, a déclaré
qu'une remise en cause du principe de dispersion figurerait parmi les exigences
du cdH s'il était invité à entrer dans une nouvelle coalition. Dans un même cas
de figure, selon vous, est-il concevable que le PS puisse exprimer le souhait de
remettre l'épure à plat en ce qui concerne la recherche d¹une stratégie la plus
pertinente possible pour la gestion des nuisances de l'aéroport de Zaventem ?
A. Je le pense, oui. Le plan de dispersion doit laisser la place à une
approche plus rationnelle.
Propos recueillis par Gauthier van Outryve auprès de Monsieur le Ministre
Charles Picqué le 8 décembre 2004.
Le texte a été soumis pour relecture avant publication.
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Revue d'analyses et de points de vue sur la problématique
des nuisances aériennes à Bruxelles et en périphérie
Spécial "Avenir de l'aéroport de
Zaventem"