Durant wil dat luchtvaartsector haar kosten niet langer op derden externaliseert maar ze internaliseert
Isabelle Durant
La crise de l’Eyjafjöll sonne comme un rappel à l’ordre face à la surreprésentation du transport aérien. Pas question d’aides à ce secteur qui avec ses lobbies est déjà trop soutenu. Une opinion de Isabelle Durant, Vice-Présidente du Parlement Européen.
Un volcan dont personne ne soupçonnait jusqu’à l’existence et au nom imprononçable a fait la Une de l’actualité, nous offrant des images contrastées. Des images magnifiques d’un gigantesque nuage dans tous les tons du gris au noir, signe d’une nature qui s’affirme avec insolence. Mais aussi des images de passagers agacés, fatigués, suspendus à leur téléphone ou à des panneaux d’information dans les aéroports ou dans les gares prises d’assaut. Et puis des images de riverains d’aéroport qui retrouvent le sommeil et le plaisir de leur jardin.
Cette éruption met en évidence de façon éclairante notre rapport au temps dans les transports, la fragilité du système et notre immense dépendance au transport aérien. Ces vingt dernières années, à la faveur de facilités fiscales et d’une concurrence effrénée, le transport aérien s’est substitué au transport de personnes et de marchandises pour la courte et moyenne distance, et dans une économie de l’immédiat, a pris la place des transports plus lents et moins polluants. En outre, les mesures prises aujourd’hui devront peut-être être modifiées demain : les ministres européens des Transports auront beau définir, même à juste titre, des zones de trafic en fonction de la proximité du centre du nuage, celui-ci risque bien, au gré des caprices des vents et de la vigueur du volcan, de se déplacer et d’obliger les autorités publiques, nationales et européennes, à un jeu du chat et de la souris pour garantir la sécurité des vols en Europe.
Cette crise met aussi en lumière des interprétations très variables du principe de précaution. La controverse née des critiques émises par les compagnies aériennes principalement, à l’encontre de l’attitude prudente des autorités nationales en charge de l’aviation civile, devrait encore faire couler beaucoup d’encre dans les prochains jours. Dans ce débat, il est certainement un aspect sur lequel on ne peut pas donner tort aux compagnies aériennes : la gestion d’une crise d’une telle ampleur géographique devrait être mieux coordonnée à l’échelle européenne. Ce sont jusqu’ici les ministres européens qui ont freiné des quatre fers l’harmonisation et l’européanisation de la gestion aérienne. Mais il est piquant de constater à quel point l’interprétation des mesures varie en fonction du bénéfice que l’on en tire. Dans la pandémie H1N1, on a vu un secteur pharmaceutique pousser à la précaution extrême au nom des vaccins qu'elle pourrait fabriquer et vendre. Aujourd’hui, c’est un autre secteur, celui des compagnies aériennes qui, au nom des pertes qu'il encaisse, dénonce un excès de précaution dans la fermeture de l’espace aérien !
La fermeture d’une partie importante des espaces aériens européens pendant plusieurs jours n’a pas seulement retenu chez eux ou loin de chez eux plusieurs millions de vacanciers et de professionnels plus ou moins dépendants du transport aérien, elle a également contraint de nombreuses entreprises et institutions, dont le Parlement européen, à bousculer leur agenda, à tourner au ralenti en l’absence d’une partie de leurs effectifs, à renoncer à certaines fournitures ou à leur substituer des produits plus locaux. Ce que cette crise a montré une nouvelle fois, moins de dix ans après les tragiques attentats du 11 septembre 2001, c’est que nos économies et nos sociétés en général sont devenues tellement dépendantes du transport aérien qu’un phénomène naturel aussi incontrôlable et loin d’être exceptionnel qu’une éruption volcanique peut plonger une bonne partie de notre continent dans un relatif chaos pendant plusieurs jours, voire pendant plusieurs semaines.
Une telle dépendance nous rend d’autant plus vulnérables que ce secteur est en réalité soumis à biens d’autres aléas, météorologiques, sanitaires, sécuritaires ou autres, et que son seul carburant éprouvé à ce jour est voué à la progressive mais inéluctable raréfaction des énergies fossiles. La certitude que le pétrole a une fin, plus encore que les incertitudes du type Eyjafjöll, devrait nous inciter à nous passer au plus vite des voyages aériens inutiles.
Il serait cependant dommage de ne pas tirer au moins trois autres leçons des effets actuels et futurs de la crise de l’Eyjafjöll.
1Même si elles n’offrent qu’un substitut imparfait aux rencontres physiques, des technologies de télé- et de vidéoconférence de plus en plus performantes existent qui devraient par exemple nous permettre de nous passer, à relativement court terme, de la majorité des déplacements professionnels en avions, comme certaines entreprises, administrations et associations encore minoritaires l’ont très bien compris.
Pour que ces organisations pionnières fassent des émules et pour que les téléréunions ne soient plus uniquement envisagées comme une solution de repli en cas de perturbation du trafic aérien mais comme des options à part entière engendrant gains de temps, économies et moindre impact environnemental, il revient à l’Europe mais aussi aux Etats membres de favoriser au maximum l’essor des technologies concernées ainsi que toute forme de contagion culturelle positive à leur égard, en montrant notamment autant que possible l’exemple en la matière.
2 C’est également l’organisation économique sur le mode du "just-in-time" que cette crise interroge. Cette denière a provoqué chez les uns des ruptures de stock faute d’avoir reçu la marchandise attendue, chez les autres du stockage involontaire faute de pouvoir écouler cette marchandise dans des avions cargo. L’absence d’internalisation des coûts externes du transport, les multiples exemptions fiscales, voire le subventionnement pur et simple des transports en général et du transport aérien en particulier ont rendu ce "just-in-time" inévitable et l’ont largement soutenu.
Face à la croissance structurelle de ce secteur pourtant condamné à se contracter de façon brutale dans les prochaines années, l’Europe a donc une responsabilité encore plus impérieuse : celle de contribuer à maîtriser cette croissance en internalisant sans tarder les coûts externes quelquefois exorbitants de l’aviation et des autres modes de transport non soutenables, comme la Commission promet d’ailleurs de le proposer depuis des années.
3 La troisième leçon à tirer des récents événements devrait cependant permettre de tester bien plus vite la détermination de la Commission face aux puissants lobbies du secteur aérien. Les compagnies aériennes ont en effet été promptes à pointer les conséquences des récents événements sur leur situation financière et à réclamer le bénéfice d’aides d’Etat. En dépit de la logique bien compréhensible d’une telle demande, venant d’un secteur que cette ultime crise devrait effectivement affecter durement, il s’agit probablement de la plus mauvaise réponse qu’on puisse imaginer, et ce, indépendamment de la discrimination inacceptable qu’elle engendrerait vis-à-vis des autres secteurs et opérateurs économiques plus ou moins gravement touchés par l’interruption récente du trafic aérien.
En effet, accepter le versement de "compensations" par les Etats aux compagnies aériennes ne poserait pas seulement d’énormes problèmes d’équité (et de douloureux arbitrages budgétaires). Une telle approche ne manquerait pas de conforter la direction de ces entreprises dans l’idée que rien ne peut vraiment leur arriver et qu’il ne leur revient donc pas de se prémunir financièrement contre le genre de contingences auxquelles elles sont actuellement confrontées, en adaptant bien sûr leurs tarifs en conséquence. Alors que les premiers à indemniser sont les voyageurs.
Il existe pourtant des polices d’assurance qui leur permettraient de traverser sans encombre ce genre de turbulences, tout en répartissant les coûts d’une telle protection entre tous les opérateurs potentiellement concernés. C’est précisément parce qu’elles croient pouvoir tabler indéfiniment sur la générosité des Etats dans ces circonstances prétendument exceptionnelles et sur la faiblesse de l’Europe, que, non contentes de ne pas souscrire de telles polices, les compagnies aériennes se permettent de vendre à perte huit années sur dix. Le moment est venu de leur donner tort et, au besoin, de rendre obligatoire les assurances en question.